Article écrit par VJ Stasse en 2002 et toujours d’actualité
Le Paris Dakar 2002 va bientôt commencer et je souhaite que ce soit, une fois encore, un succès pour tous les participants et que ces derniers en gardent un souvenir impérissable.
Je voudrais cependant partager certaines réflexions avec les organisateurs, en espérant que celles-ci seront prises en compte dans les préparations des éditions futures afin de les améliorer. Ce raid est magnifique d’un point de vue sportif et humain. Malheureusement, il relègue au second plan ce désert qu’il traverse pendant la plus grande partie de son parcours.
La volonté de Thierry Sabine était de ne laisser aucune trace de passage. Je sais qu’un travail immense est fait pour qu’aucun déchet ne demeure et je veux croire que cela est fait de façon impeccable.
Hélas, ce qui ne peut être effacé, ce sont les traces laissées par les véhicules. Si dans les dunes le vent efface rapidement toute empreinte, ailleurs, les traces innombrables laissées par les motos, les voitures et les camions marqueront le sol pendant des dizaines d’années.
En effet, dans ces régions, la surface du sol s’est constituée lentement au cours des siècles et se compose de milliers de micro organismes, et ne se régénère qu’avec une extrême lenteur. Je connais bien le désert pour avoir, entre autre, fait partie en 1963, d’une expédition belge qui a effectué la première traversée du Sahara d’Ouest en Est.
En Lybie, nous avons pu voir les traces laissées pendant la guerre, par la division Leclerc entre le Tchad et l’oasis de Koufra, soit après une vingtaine d’années. En Namibie, le gouvernement est extrêmement strict.
Il est tout simplement interdit de circuler hors piste dans le désert.
J’ai un ami dans ce pays qui, avec quelques autres, a developpé une réserve de plus de 200.000 hectares en bordure du désert du Namib. Lorsque l’on traverse cette région et que l’on se voit obligé de faire demi-tour, il arrive bien souvent que l’on soit contraint à faire plusieurs kilomètres en marche arrière dans ses traces pour éviter de former de nouvelles traces (laissées par un simple demi-tour !) qui seraient autant de cicatrices indélébiles. Quel respect pour la nature !
Le désert, c’est le silence ! Comme le dit Théodore Monod, grand spécialiste du désert pour y avoir passé plus de soixante années de sa vie : « … le désert aime le silence … « .
Il est dommage que la plupart des concurrents d’un Paris – Dakar reviendront d’Afrique sans aucune connaissance de ce désert.
Avec un peu de chance, pendant quelques instants épargnés par la poussière soulevée par les véhicules, ou traversant soudainement une zone moins exigeante en concentration, pourront-ils aperçevoir brièvement, et à toute vitesse, quelques uns de ces paysages uniques, mais sans sortir néanmoins du bruit assourdissant de leur machine. Quelle pollution que le bruit.
Le Sahara est aujourd’hui fragilisé.
Monod nous rappelle que, si l’on va au désert, il faut « …en respecter les habitants, les animaux, en écouter les leçons, dont la pure simplification de la vie, alors que les mégalopoles nous submergent de superflu dans tous les domaines …., ainsi le Paris – Dakar au goût de conquête.
Le Sahara, c’est le nouveau monde. Les hommes y arrivent bottés, casqués. Ils viennent chercher l’aventure dans ces terres vierges, mais il veulent avant tout se conquérir.
Même dans ces lieux vierges, ils restent les comédiens d’une société qui se joue la comédie …. » Il poursuit : « …. Des jeunes découvrant le globe dans son état virginal, voilà qui peut éveiller des vocations, leur permettre de s’affranchir du gavage de cerveau vidéo technique qui risque d’en faire des mutants …. »
Je crois que ces textes portent à réfléchir. Je veux être convaincu que les organisateurs de la course ne peuvent qu’être touchés au fond du cœur, car lors des nombreuses reconnaissances qu’ils ont faites, ils ont sans doute ressenti ce qu’est réellement le désert lorsqu’ils s’y sont retrouvés presque seuls, sans une armada d’engins motorisés couverts par une foule de médias …..
Autre ambiance !
L’on ne peut que penser à Saint-Exupery, à Charles de Foucauld, à Roger Frison Roche et à tant d’autres acteurs ou peintres du désert dans sa réalité et sa richesse immense. Je crois qu’il leur aurait été odieux d’imaginer de rallye sous sa forme actuelle qui fait fi de toutes les valeurs du désert.
On peux dire qu’aujourd’hui, il reste dans le monde trois espaces plus ou moins vierges de notre agitation moderne : les déserts, les montagnes et les océans. Hélas, la pression de nos civilisations sur chacun se fait de jour en jour plus forte.
L’ambition de l’homme, et une pression médiatique énorme avec, il faut bien le dire, les profits qu’elle génère pour certains, risque de détruire à jamais ces territoires privilégiés de notre planète.
Le monde, avec tous ses espaces, n’est-il qu’une place de jeu pour la seule satisfaction de l’homme dit civilisé ?
André Malraux disait que le vingt et unième siècle serait spirituel ou ne serait pas. Je crois que cela doit nous donner à réfléchir et à repenser ce que nous avons fait pendant des années.
Soyons clairs. Je ne suis pas contre ce rallye, mais contre sa forme et son terrain de jeu.
J’ai été élevé au milieu du sport automobile. Mon père était directeur du journal Les Sports – l’équivalent en Belgique du journal l’Equipe en France – et plus tard fondateur de la revue Sports Moteurs.
Il a lui-même participé à de nombreux rallyes et remporté Liège-Rome-Liège en 1955 avec Olivier Gendebien. J’ai connu tous les grands pilotes de l’époque : Ascari, Fangio, Moss, Clarke, Gendebien, Frère ….. c’étaient mes héros.
Mais le monde a changé, et le terrain de jeu de l’automobile doit peut être, aujourd’hui devenir restreint, dans l’intérêt des générations futures, sous peine de perdre beaucoup de son âme.
Je pense plus particulièrement aux concurrents du Paris-Dakar eux-mêmes qui ne connaîtront JAMAIS le désert tel qu’il est. Quel dommage …. Pour eux !!!!
En guise de conclusion, je voudrais citer ce paragraphe tiré des « Sept Pilliers de la Sagesse » de T.E. Lawrence, au chapitre III, décrivant un palais abandonné au milieu du désert :A la fin Dahoum m’entraîna : « venez sentir le parfum le plus doux » : nous entrâmes dans le corps du logis et la, dans l’embrasure des fenètres béantes sur sa façade orientale, nous pûmes aspirer à pleine bouche le souffle sans effort ni tourbillon qui palpitait en frôlant les murailles. il était né, ce souffle vide du désert, quelque part au-delà du lointain Euphrate, et pendant des jours et des nuits il s’était traîné sur une herbe morte, rencontrant son premier obstacle en ce palais ruiné élevé par la main des hommes, il paraissait s’attarder autour avec de puérils murmures.
« Voilà bien le meilleur parfum, dirent mes guides : il n’a pas de goût ». Senteurs et luxe ne valaient pas pour eux une pureté ou l’homme n’avait point de part.
QUI, parmi les participants du Dakar, a pu sentir cela dans l’agitation et le vacarme des bivouacs ?
V J STASSE Janvier 2002