Luc Alphand est un homme heureux. Il a remporté la 28e édition du rallye Paris-Dakar qui s’est terminée le 15 janvier 2006 sur les bords du Lac rose au Sénégal. Cette victoire, il la voulait tellement qu’il n’a pas cédé au découragement après huit tentatives infructueuses. Pour cet ancien champion du monde ski, cette victoire n’est pas seulement une consécration sportive dans la catégorie « autos », elle lui apportera aussi certainement beaucoup de notoriété et lui permettra de renflouer confortablement son compte bancaire.
Aussi est-il agacé d’entendre des gens lui rappeler que cette année encore, le rallye a tué deux adolescents, Boubacar Diallo, 12 ans et Mohamed Ndaw 14 ans, coupables d’être sortis admirer le spectacle que représente la course automobile.
Faut quand même pas exagérer ! Pour deux négrillons écrasés, de prétendus moralistes veulent gâcher son bonheur, lui qui, explique t-il dans un grand hébdomadaire français (Le Journal du dimanche du 15 janvier 2006), « s’est défoncé tous les jours à faire 800 bornes, avec les efforts que ça représente toute l’année pour s’entraîner, pour développer les voitures » !
D’ailleurs, peste t-il, ceux qui dénoncent le caractère criminel du Paris-Dakar connaissent-ils réellement l’Afrique ? Savent-ils que « dans tous les villages et les pays traversés, c’est la fête ? » Que les habitants « chantent, dansent, courent partout parce que c’est super pour eux, le rallye ? » Pour tout dire, « qu’ils sont un peu inconscients » ces Africains ?.
Luc Alphand est d’une sincérité désarmante : « oui, je le dis : je suis heureux d’être là et d’avoir gagné cette course » et malgré les drames survenus, « ça ne va pas gâcher ce que je ressens, ce que j’ai accompli » déclare t-il avant d’annoncer fièrement qu’il « compte revenir ici faire de belles courses ».
Luc Alphand et ses copains n’ont pas à s’inquiéter. Ils trouveront toujours sur le continent des responsables politiques et administratifs complaisants et laxistes pour obtenir l’autorisation de traverser les pays de leur choix en dépit du risque très élevé d’allonger la liste des victimes de ce spectacle macabre qui a provoqué la mort de près de 50 personnes depuis 1978 dont 17 spectateurs. Sans que cela ne remette en cause cette épreuve de nantis étalant leurs richesses, et comme si les victimes faisaient désormais partie du décor !
Et si les Africains ne veulent plus mourir, il appartient, de l’avis de certains « aux pays traversés de faire attention et de mettre les moyens de canaliser la foule ». Autrement dit, les pays qui n’ont ni sollicité le passage, ni donné leur avis sur le tracé du rallye doivent se débrouiller pour assurer la sécurité des concurrents venus s’amuser chez eux !
Une requête que le président sénégalais s’est empressé de bien noter : « ce n’est pas parce qu’il y a des accidents qu’il faut arrêter le Dakar. C’est une très bonne chose. Nous ferons le maximum pour créer les conditions afin qu’il se poursuive ».
C’est sûr, le rallye a encore de beaux jours devant lui, d’autant que des associations et des organisations non gouvernementales qui militaient activement pour sa suppression ont maintenant baissé les bras. A deux reprises, en décembre 1984 et juillet 1985, des députés européens avaient tenté d’obtenir l’interdiction de la compétition. En vain. Ils avaient conclu que seule une action des autorités des pays africains permettrait d’obtenir la suppression du rallye.
En décembre prochain, on verra encore, sous les caméras de la chaîne publique France Télévisions, parrain du Dakar, « 500 connards sur la ligne de départ » selon les propres mots du chanteur français Renaud. Et encore plus d’Africains « inconscients », courant, chantant, dansant, quitte à se faire écraser ; parce que pour eux, le rallye, c’est super. Foi de Luc Alphand !
Wahab Sidibé
Lefaso.net
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> Rallye Paris-Dakar : un spectacle arrogant et humiliant
24 janvier 2006, par