Libre adaptation du texte Avé César de David Grossman
Persévère, ô Paris-Dakar. La mort nous guette à chaque instant, mais toi, notre maître, persévère. Ne laisse pas nos vies et nos morts misérables se mettre en travers de ton chemin. Tu as un plan. Nous en sommes sûrs. Et pour cette raison, nous sommes persuadés que tout ce que nous voyons autour de nous n’est que le prélude d’un futur radieux, une idée brillante qui, un jour, changera la face du monde.
Tu sais, l’air désespéré de l’Afrique n’est qu’une façade. Elle n’a pas vraiment le sentiment d’abriter des morts-vivants. Nous croyons à tes promesses de développement, ô Paris-Dakar.
Nous le sentons venir à grands pas ailés. Tu forceras nos ennemis (les ANTI) à nous aimer, quoi que nous fassions. Tu nous débarrasseras des obscures voix discordantes, et à la place, tu installeras des célébrités plus accommodantes et moins regardantes. Et alors, en un clin d’œil, le cœur de nos ennemis se remplira d’amour pour nous. Ils nous pardonneront toutes nos mauvaises actions, et même, ils les justifieront, et ils reconnaîtront qu’elles avaient un but.
Nous n’avons aucun doute sur ta capacité à réinventer la nature humaine, et nous savons que tu es l’ évènement qui saura façonner ce continent, et l’amener à accepter ce que nous lui offrirons, et même à accepter ton refus total de lui donner quoi que ce soit. Ce n’est pas parce que personne, quelle que soit sa puissance, n’a jamais réussi à perpétuer une telle occupation, dans de telles conditions, que c’est une loi de la nature.
Nous pouvons être les premiers ! Pourquoi pas ? Seulement, nous t’en supplions, il faudrait que tu bouges. Parce que, comment dire ? Il ne restera bientôt plus personne. Ni sponsors, ni participants.
Illustre Paris-Dakar, les temps sont un peu durs, au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, mais tu l’as remarqué, bien sûr. Mais tu es fort, bien plus fort que nous, il n’y a pas de doute. Nous sommes faibles, obnubilés par l’appât du gain, la recherche de notoriété. C’est pour cela que nous avons besoin de toi, pour nous conduire avec ta riche et puissante caravane, l’une des plus fortes du monde, vers un avenir nouveau, le temps du Loisir-Colon, comme on pourrait l’appeler (comme nous le faisions dans les années 50). Un avenir où chaque fois qu’un imprudent nous critiquera, nous frapperons en retour ! Ils nous vilipendent ici ? Nous les musèleront là. Ils mènent des guérillas sur le net? Nous userons de nos missiles de silence médiatiques. Quel déluge, et quelle idée géniale ! Ça, c’est ce qu’on peut appeler exploiter sa force à plein !
C’est vrai, parfois, l’ombre d’un doute s’insinue dans nos pensées délétères, sur les différentes définitions du courage et de la lâcheté, de la foi et du défaitisme. Il arrive qu’un petit démon antipatriotique nous murmure à l’oreille que peut-être, nous ne devrions pas être là et qu’il faudrait peut-être essayer de nous tirer de là.
Quelquefois, des langues bien pendues ont le culot d’insinuer qu’avec les cartes absolues que nous avons en main, le désespoir, le comportement barbare , nous pourrions, d’une façon ou d’une autre, mieux nous comporter.
Mais, évidemment, pour répondre à cela, nous avons un argument irréfutable : nous avons déjà essayé ! Nous leur avons tout offert, c’est un continent peuplé d’incapables et de paresseux ! Alors, à l’unisson, nous déclarons : « Mourons avec les Philistins ». Ça leur apprendra !
Parfois, il faut le dire, nous nous y perdons un peu. Pardonne-nous. Quand nous écoutons certains témoignages, nous commençons à nous demander si le plan est si intelligent et sophistiqué que cela, et s’il a vraiment des réponses à l’apocalypse qui se produirait si ces actions perduraient.
Nous commençons à nous demander si, au nom de nos objectifs ludiques, tu n’as pas pris la décision stratégique de déplacer le champ de bataille, non chez l’ennemi comme il est d’usage, mais vers un domaine où règne la révolte la plus totale, celui de l’auto-anéantissement, où nous n’obtiendrons rien, et eux non plus : Un gros et gras zéro.
Mais ce ne sont que des vétilles, des pensées passagères. Tes loyaux sujets n’ont aucun doute sur ta sagesse et ta vision. Très bientôt, il apparaîtra à tous qu’il y avait une raison profonde pour jouer de cette façon absurde, pendant des années, et pour accepter de « suspendre notre incrédulité », comme au théâtre, en attendant que l’intrigue se dénoue et que le secret se révèle.
Quand, finalement, nous seront révélées ces raisons, qui pour le moment sont au-delà de notre entendement, nous continuerons encore à te soutenir de tout notre cœur. Nous qui allons continuer de mourir, par dizaines, nous te saluons.
Ave, Paris-Dakar, Morituri te Salutant!