Le Dakar : course, sport, commerce ou folie ?

Voilà, c’est reparti, le 28e rallye-raid a pour nom « Lisbonne-Dakar 2006 » ! Après un an d’attente fébrile, de préparation de leur belle machine pétaradante et gonflée jusqu’au cou, les voilà, ces « Schumis » en herbe, amateurs ou professionnels, ces « chatouilleux de la pédale d’accélérateur » au portefeuille bien garni, qui se sont lancé à l’assaut de leur traversée du désert.
Toujours prêts à sacrifier leur réveillon de Saint-Sylvestre, à bord de leur charroi hétéroclite de voitures, motos et camions, ils se targuent, une nouvelle fois, de traverser le désert dans le minimum de temps.

Pour 2006, la vitesse maxi des camions et des motos a été limitée à 160 km/h. Les villages seront théoriquement épargnés, vu la limite de 50 km/h. L’avertisseur de dépassement « Sentinel » est obligatoire pour tous. Le système électronique « Iritrack » sera obligatoire, transmettra par satellite la position des concurrents et pourra apporter l’aide nécessaire en cas de besoin. La navigation par système GPS sera par contre limitée au niveau des fonctionnalités. Pour corser la course, une étape sera organisée sans aucune assistance. L’autonomie des motos passera de 350 à 250 kms, pour en réduire le poids et en augmenter la maniabilité.

Comme ils ont pendant un an rongé leur frein en s’incrustant dans les files sur nos routes, rien ne pourra plus arrêter ces jeunes et moins jeunes, qui ont fantasmé en préparant l’épreuve reine du baroudeur, celle qui va leur permettre de se défouler aux yeux du monde, de briller l’espace de quinze jours sous les feux de la rampe du soleil africain. Les médias, comme toujours, seront tous au rendez-vous de l’épreuve.

Si on sort de cette effervescence, il saute aux yeux que le Dakar est vraiment la réplique parfaite de la vie de l’homme moderne, qui roule à tombereau ouvert, dans une fuite en avant, sans perdre un instant pour voir, sans prendre le temps de regarder les paysages qu’il traverse et les gens qui les peuplent. Les retombées financières pour les populations n’existent pratiquement pas. On ne fait que passer, on laisse des traces, mais on ne les efface pas. La passion n’a simplement pas de prix. Ce rallye ne manque pas de sponsors qui, pour décorer la vitrine de leur production, n’hésitent pas mettre le prix.

A bord de leurs bolides, les coureurs restent insensibles aux problèmes existants, à ceux qu’ils créent eux-mêmes, en réveillant des populations qui n’ont vraiment pas besoin de cette agitation. Agression écologique et humanitaire, perturbée par la politique et le terrorisme, le Dakar est contesté tous les ans.

Le désert n’est plus qu’un prétexte, un attrait touristique d’aventure qui attire sans plus aucune intention d’apporter la moindre amélioration à la sécurité routière.

Comme ce fut le cas lors de précédents rallyes, si d’aventure, une fillette de la population locale, surprise par ce tohu-bohu, s’approchait trop près de la piste, et que l’accident prévisible, fatal, survienne, la victime ne serait qu’un nom ajouté aux « dégâts collatéraux » d’une course impassible et impersonnelle. Le spectateur, devant sa télévision, s’émeuvra quelques instants, en pensant à la jeune vie qui est partie, et puis dans les images qui suivent, ne pensera plus stratégiquement qu’aux pronostics du vainqueur le plus probable.

Dans l’histoire du Dakar, vu les excès de vitesse pratiqués pour sauter buttes et dunes du désert, trop d’années noires ont fait partie du lot de malheur. Mais morts et blessés à vie du côté des participants n’ont pas altéré cette lutte pour une victoire très éphémère et si peu productrice de progrès. En 1986, l’organisateur du rallye d’origine, Thierry Sabine, et le chanteur en pleine gloire, Daniel Ballavoine, suivant la course à bord d’un hélicoptère, se sont écrasés, mettant fin à un destin plein de promesses. Mais chaque année, la mémoire courte aide à repartir de plus belle, en pleine insouciance.

Une telle vision du progrès n’a vraiment plus de lettres de noblesse. A l’arrivée, pléthore de journalistes seront là pour féliciter et pour acclamer les vainqueurs.

A cette occasion, une interview surréaliste pourrait très bien se dérouler ainsi :
– Comment c’était l’Afrique ?
– Très dur, vraiment très dur.
– Oui, mais l’Afrique, comment l’avez-vous trouvée ?
– Quelle Afrique ?  serait la réponse du héros d’un jour, très surpris.

Quand aurons-nous enfin des simulateurs de pilotage assez réalistes pour permettre à ces « fous du volant » de s’éclater à l’aise, sans coup férir, et remplacer ce remue-ménage, tellement consommateur de ce carburant si précieux ?

« Tais-toi, l’Enfoiré.
Tu ne comprends rien, ça, c’est du sport ! »

Je me retire sur la pointe des pieds, et plonge dans le dictionnaire :
Sport : Ensemble d’exercices physiques se présentant sous forme de jeux individuels ou collectifs, pratiqués en observant certaines règles et sans but utilitaire immédiat ».

Je reste donc à ne pas comprendre, mais mon dictionnaire date, lui, de 1975.
Je persiste et signe : le Dakar, une traversée du désert, mais d’un désert dans l’âme.
Le centaure moderne : la moitié d’un homme et la moitié d’une voiture de sport, Edith Grobleben
Janvier 2006
L’Enfoiré  http://vanrinsg.hautetfort.com/